In Times New Roman
Minuit, l’heure de la Cream of the Cream.
Minuit, l’heure des Queens!
Voyageurs immobile, prenez garde ! Vous allez voir du pays dans ce monde de brutes!
Someone’s in the wolf !
En ce 16 Juin 2023, semblant débarqué d’une bacchanale éclairant le devant et le derrière de la scène musicale, cet immense disque fouette nos consciences et appelle à souper les évadés du soir qui se promènent nus dans les bois. Ivres de la nuit, ils cherchent à faire apparaître leur double, leurs ombres dans le miroir de la pleine lune, et à succomber à cette fête d’intérieur.
Entrez donc et laissez-vous tenter..
Les pénétrations sont douces, s’effectuent à tâtons, avant que les excès ne coulent en ruisseaux.
Au milieu des va et vient, de la bonne chair, des accents reptiliens, des coupes de 5 pills and godes par nuit, plus personne n’est à l’abri.
Homo homini lupus est : la meute a accordé ses violons, l’état de nature a repris ses droits : l’homme loup doit faire face à son double.
Au milieu de la tablée, les monstres ne sont plus dans le parasol, ils sont partout et s’abandonnent en nous.Plus le temps de boire un drink au bar fantôme du Titanic, tout s’est assombrit dans les profondeurs salées et destructrices du temps.
Alors que tout semble consumé, une exquise musique mord l’instant présent..
Depuis le 9 mai 2023, de courts extraits sonores mettant au premier plan la voix de Joshua Homme appuyés par des vidéos mélangeant l’étrange, la luxure et la gourmandise ont attisé le feu de nos âmes errantes.
Lorsque le 11 mai 2023, sort le 1 er extrait de l’album « Emotion Sickness » l’émotion est bien présente et l’on sait déjà que le disque sera aussi énorme qu’un enfoncement de crâne avec une patte d’éléphant dans la face.
Le 31 mai 2023, sort « Carnavoyeur », 2 ème extrait sensationnel tant sa perfusion de noirceur agit comme un être bicéphale, Jekyll et Hyde, couvrant à la fois nos yeux tel un fard à paupières et éclairant nos cieux comme un phare en plein mer désossée par les éléments.
Le 14 juin 2023, « Paper Machete », 3 ème extrait du disque, de par son tempo, le flow de son solo nous emmène danser dans la nuit juste éclairé par le rouge sang des yeux d’un loup qui aimerait en croquer.
Presque 6 années après Villains, sorti le 25 août 2017, disque produit par Mark Ronson, un disque renfermant des pépites et une tentative de boogie ayant croqué le cookie du King, In Times New Roman se veut un retour au son des reines de l’âge de pierre, une prise de son plus directe pour faire valser notamment les voies biliaires.
L’album est tout comme Like Clockwork, mixé par Mark Rankin et notamment enregistré aux Pink Duck Studios de JhoBaby Duck Joshua Homme.
Après Like Clockwork, Villains, In Times New Roman est le dernier chapitre d’un cycle marqué par le chiffre 3.
Le coma, les cornes de névroses ont laissé place à l’acceptation de l’être et du néant.
In Times New Roman s’est nourri de l’adversité, des violences, d’un divorce entre Brody Dalle et Joshua, des problèmes de garde, de la maladie, de l’isolement, des peurs, du stress, de la brutalité de nos existences, de la Covid, de la perte de Anthony Bourdain, de la perte du meilleur ami de Joshua Homme : Rio Hackford, de la perte de Taylor Hawkins et de la perte de Mark Lanegan.
Parmi ces héros, les 3 derniers sont devenus pour Joshua, une mémoire sur peau.
Joshua Homme a attendu le mois de novembre 2022 pour retrouver sa voix.
Une seule langue ne saurait être à même de tourner les pages de notre livre de la jungle et de coiffer la posture de nos existences de postiches.
Au milieu de ces cols parfois vissés, le colisée semble enfin pleinement ressuscité.
Il est temps d’une nouvelle ère, d’un nouveau roman, d’une autre Rome.
A l’intérieur de l’édifice, il y a cet homme rongé par les verres qui semble avoir perdu la soif de vivre.
Le temps dévore et pique-nique sur une table fumée de marijuana. Des infirmières aux courbes arc en ciel préparent des garrots pour quelques gourmands.
La cape de Dracula laissée au bestiaire, le diable ayant cédé sa queue à un malade installé sur un billard, les serpents, les monstres et le loup sont de sortie. Ici, le loup n’en a cure de votre pulpite..Il va croquer !
Entre horreur et majesté, il nous faut rouvrir les portes de la Rome Antique.
La pochette signée Boneface (déjà auteur des livraisons picturales de Like Clockwork et Villains) représente en son recto un homme ayant croisé son verbe être avec les avoirs d’un loup. Les monstres du placard et une double personnalité embrassent une chevelure à la langue mordante et combattant des lianes persiflantes qui nous enlacent dans notre pièce d’identité. Au verso, oh cire, le temps de retourner la chaleur, des serpents sifflent et soufflent sur une bougie de non anniversaire.
Les 5 fantastiques sont de retour : Joshua Homme au chant et à la guitare, Troy Van Leeuwen à la guitare, Dean Fertita à la guitare et aux claviers, Michael Shuman à la basse et Jon Theodore à la batterie.
Il est loin le temps où les Queens étaient un laboratoire d’apprentis chimistes venus poser leurs très joyeuses interprétations sur disque. On pense forcément au regretté et immense Mark Lanegan, mais également à Chris Goss, Nick Oliveri, Alain Johannes, Julian Casablancas, Alex Turner, Rob Alford, Billy Gibbons, Shirley Manson, Dave Catching, Dave Grohl, Trent Reznor, Joey Castillo..
Quelques participations sont néanmoins à relever sur In Times New Roman : Matt Helders le batteur des Artic Monkeys est aux chœurs sur « Emotion Sickness », Jeanine Mc Coy, Tenderlie Lavender et Sharetta Morgan sont aux chœurs sur « Obscenery ». Enfin, une voix mystère hante les chœurs de « What the Peephole say ».
On retrouve sur ce disque reptilien : The section Quartet avec Daphné Chen, Leah Katz, Richard Dodd et Eric Gorfain.
Les cordes n’ont jamais été aussi présentes sur un disque des Queens, ici sur 4 titres. Mais les cordes ne sont en rien sirupeuses, elles permettent, de par leur fulgurance, d’accentuer la force des compositions.
On entre dans ce disque comme l’on pénètre dans un château baigné de papillons paralysants qui n’empêchent pas de voir la lumière qui flirte à travers les hublots, les carreaux de la chemise et les barreaux de chaise.
Ce disque est un retour aux sources de Lullabies to Paralyse, disque préféré de votre serviteur de par son inventivité, ses mélodies, ses variations, sa noirceur.
-« Obscenery » :Le riff d’introduction sonne très Era Vulgaris.Le groupe se met en place dans cette chambre des criées. Le titre est une merveille et réserve son lot de surprises : arrangements de cordes à la John Paul Jones, break jazzy, refrain stratosphérique semblant gommer nos derniers boutons d’acnée juvénile et rappelant le « Emotion Sickness » de Silverchair. Dès cette première brillante entame, on nous promet un « Good Night », comme si le cauchemar d’un rêve sombre était un appel à une nuit douillette dans les griffes de l’abandon de soi.
« Jihad Me in Obscenery
Born Ruthless »
-« Paper Machete » : Sorte de « Little Sister 2.0 » avec un tempo coups de reins à la « I Sat by the Ocean ». Ce titre explicite le rappel du pied à Lullabies to Paralyse. En concert, cela promet plus qu’un bain de foules. Troy nous délivre un solo magique. Les paroles directement adressées à Brody Dalle ex-femme de Joshua sont tranchantes comme du papier de verre.
« Joan of Arc, Victim, Perpetrator, just a paper Machete »
-« Negative Space » : Joshua croone comme jamais sur ce très bon morceau convoquant le meilleur de Rated R. Ce midtempo fonctionne comme du pur Queens, et offre une essence qui alimente le moteur de la chevrolet camaro 1967 avant son départ sur la route 66. Troy y assène un nouveau solo laser. Joshua adresse à nouveau ici un faire part à Brody. La fin du titre est démentielle avec cette réflexion sur l’amour qui ne se dit plus.
“My love, I will not survive
Emotion Sickness Well I wanna die”
-« Time & Place » : Un Go signale le départ de la fusée psychédélique de Cap Canaveral. Les guitares y célèbrent un mariage hypnotique. Ce son nouveau pour le groupe, cette jam, est une œuvre forte, très sensuelle qui appelle chaque bûcheron a laissé sa salopette en plein champ et a bougé son bounty au milieu de diablesses court vêtues mais au grand vécu.
“I realize you’re a bummed cigarette Suicide I slow motion”
-« Made to Parade » : Oeuvre épique. Revue des coupes, des couples, des convives éméchés commençant à descendre des chopines dès 5 heures du matin tout en soufflant sur la montée de leur alcoolémie. Ca trinque, ca convoque les Masters of Reality pour une chasse au lapin. On se chevauche, on joue à saute-mouton pendant que le Maître du temps règle les derniers préparatifs de la fête foraine. Les voix de Joshua, Troy, et Michael s’unissent pour le meilleur au début du morceau.Le final du titre est une magnifique rencontre de solistes de la 6 cordes.
“Run like a rabbit as fast as you can
Cause we all trade for what we want is what you get worth you gave up?”
–« Carnavoyeur »: “Homme à la mer” crie ce capitaine de vaisseau fantôme parti à la rencontre de l’au-delà.
L’embarcation est frêle, l’équipage n’a que la peau et les os. Ces éclaireurs du sombre se guident à la faible lueur d’une lanterne poussiéreuse. Au gré du vent et de la lune, le trajet liquide de ces infortunés les mènera jusqu’au phare qui leur permettra de sauver cet être de cette tauromachie maritime où le taureau avait pleine cité.
Ce titre, ce chef d’œuvre, commence comme un rappel à « 7 o’clock » de Pearl Jam. Le mouvement des glaciers a été remplacé par les baisers d’une mer agitée, dont les bras se sont adossés au phare. Puis viennent les claviers, la marche funèbre délicieusement délivrée par Dean Fertita. Le morceau est sombre et s’avère être très clairement un hommage à David Bowie, à Lazarus qui aurait fricoté avec The Idiot. Les chœurs y sont somptueux. L’œuvre se termine en apothéose rappelant que l’on n’en connaît pas la fin malgré les vautours qui nous tournent autour. A toutes fins, la batterie de Jon explose tout.
“every little thing will die
from the king of the jungle to butterfly
Only sin is waiting too long”
–«What the Peephole say»: Encore un jeu de mots flatteur qui pourrait rappeler que Judas ne fut pas qu’un orifice à trahisons mais aussi un horizon pour braguettes. Sorte de“Head Like a Haunted House 2.0” en beaucoup plus cryptique, plus noir et sexy. Le morceau se termine comme une sympathie pour le diable avec un refrain exceptionnel convoquant les vivants à une messe noire.
“Tonight is the night
the kids are taking you to school on the mery go round”
–«Sicily»: Les rayons de l’aurore se jouaient à travers tous ces corps huilés, parfumés de chibre et de noix de coco, ces corps baignant dans l’écume laissée par quelques étalons et quelques déesses.
Pièce maîtresse du disque, cette orgie psychédélique se veut des plus prenante pour l’auditeur. Des arrangements de cordes très SM, des respirations à la “You got a killer scene there”.
On songe à Baudelaire et à son art de la table lequel nous enseigne que “L’orgie, cette ineffable orgie, cette sainteprostitution de l’âme qui se donne tout entire, poésie et charité, à l’imprévu qui se montre, à l’inconnu qui passe”.
Les râles s’entendent loin et Caligula reprend de la vigueur.
La basse magnifique de Michael rend le titre bien dur et gorgé de sang, prêt pour le stupre.
Ce “Someone’s in the wolf” 2.0 a laissé le loup qui s’est fait les crocs dans les bois, avancer vers l’intérieur pour y laisser toute sa place à la débauche à tous les étages.
Vous reprendrez bien 5 fruits et légumes à la pointe du couteau dans cette communion des nus.
Les corps n’ont de cesse de s’enlacer et de se contracter afin de calquer leurs ondulations sur de sensuels reptiles multicolores..
“You’re all peaches & cream
pink nightmares lust a wild ocean don’t rescue me
I’m drowning in wet dreams it seems”
–«Emotion Sickness»: Une porte s’ouvre et des pas tombent sur le sol comme écrasant un scorpion royal. La porte s’ouvre puis se referme. Combien de temps va t’on rester porte close?L’on songe déjà à ce que la porte reste ouverte comme dans notre si rude réalité..
L’homme en blanc qui chuchote et murmure va t’il appeler les renforts pour expliquer mon cas? Joshua chante divinement bien et a des accents du Prince of Darkness.
Le morceau est magnifique, très seventies et convoque Crosby Stills & Nash sur le refrain.
La slide guitare de Troy rappelle Long Slow Goobye.
Le meilleur premier extrait d’un album des Queens depuis Little Sister.
“Oh atrocious Ferocious
Check the price
Alibi bye buy by the slice
absolutely”
–«Straight Jacket Fitting»: Le mur invisible a cédé, le verre s’est cassé. Les menottes et les chaines ont arrêté d’encercler celui qui court vers le désert. Déferré, il s’élève avec sa chaîne hi-fi.
Introduction martiale. Sommet du disque et plus long morceau de l’histoire du groupe, ce titre voit le loup accomplir ses plus grands exploits.
Dans ce blues psychédélique crépusculaire, Joshua délivre l’une de ses plus grandes prestations vocales atteignant des notes auxquelles il ne nous avait pas encore convié.
Ce morceau à tiroirs, ce court métrage sur microsillon délivre une émotion d’une folle intensité.
Le titre évolue, s’étire comme un lézard en pleine bronzette.
Les Doors et leur Roadhouse blues s’invitent à la fête.
Le film musical se termine par 2 minutes acoustiques spatiales qui emmènent l’auditeur retourner à sa maison : le désert pour des Desert Sessions se déroulant non pas dans le Morrison Hotel mais au beau milieu de cette nuit étoilée, une nuit toute nue qui ne nuit pas au sommeil des justes qui continuent avec les morts, les squelettes, les poussières d’ange à célébrer et à danser sur « Far East For The Trees ».
Ces minutes font écho au début du disque et nous invite à remettre le couvert encore..encore..Touches le bouton play, titilles moi encore..encore.
“What can you do? We’re all alone in times new roman
No allegiance chasing a wish over the cliff”
8 ème opus du groupe. 8 disques qui sont tous des chefs d’oeuvre avec leur particularisme, leurs couleurs.
In Times New Roman est le meilleur disque des Queens Of The Stone Age depuis Lullabies to Paralyse.
Ce disque procure des soins intensifs et permet de se tourner vers l’acceptation bruyante.
Accepter la maladie, lui laisser une place, lui céder un petit trou avant la fosse.
Eprouver, semer partout, se battre à grosses gouttes, se redresser coute que coute.
Ne jamais abandonner le petit chaperon rouge au bord du précipice.
Se nourrir des vertiges, des restes, des vestiges de l’âme.
La musique est un pansement. Pourvu que ca tienne.
L’important ce n’est pas la destination mais le voyage disait Robert Louis Stevenson.
Ne lui en depléiade, les 2 sont importants. Car tomber le masque lors du voyage, c’est afficher sa destination.
Déserts médicaux, déserts amoureux.
Au milieu des cactus, les habitations n’ont pas de sonnette aux portes mais des serpents à sonnette en guise de fée clochette.
Et si notre vie peut parfois nous paraître ressembler à un désert au vu des désirs sacrifiés, des rêves brûlés, d’un désert à l’autre, il n’y a parfois qu’un pas.
Ici, au Rancho de la Luna, dans le Joshua Tree, où transpire la vie brutale et authentique, l’on célèbre tous les jours avec force et envie les petits bonheurs des morsures de la nuit.
Rome brûle, Paris brûle t’il?
Vous reprendrez bien du dessert ?
Disque du mois de Juin 2023 et …peut être le disque de l’année..