BLUR The Ballad Of Darren

BLUR The Ballad Of Darren

Il est parti à la nage malgré l’amoncellement de gros points noirs, de sombres stratocumulus, d’un ciel menaçant qui semble inviter au voyage tous les habitants des fonds marins.

Il est seul.

Dans cette piscine d’eau de mer, il lutte contre les éléments mais il le sait, il est en vie.

Il en a fait du chemin depuis son accident de voiture, lui, le miraculé. Alors plus rien ne pourra l’arrêter. Dans ce couloir de nage libre, il revit.

Et il n’y pas de belle-mère à l’horizon rejetant un requin dans la piscine.

Il nage dans des mots bleus, sans bouée si ce n’est la brioche qu’il porte en son sein, sans gardien de piscine mais avec un garde côtes et le bleu de la poubelle l’incite à ne plus se jeter dans la mer agitée.

Cet homme en photo, c’est Ian Galt qui nage dans cette piscine d’eau salée située à Gourock en Ecosse.

La photo prise par Martin Parr en 2004 représente la pochette du nouvel album de BLUR « The Ballad of Darren » sorti le 21 juillet dernier, le 9 ème du groupe.

Darren vous connaissez ? C’est Darren Evans, le responsable de la sécurité du groupe.

Le titre de l’album rappelle que c’est Darren qui a insisté pendant des années (depuis 2003) auprès de Damon Albarn pour que l’ébauche du titre « Ballad » soit terminée.

L’album est d’un raffinement sans pareil. Les détails apportés au son par la production, les sublimes accords de cordes, la voix qui n’a jamais été aussi enveloppante de Damon..Tout y est somptueux..

Ah BLUR ! Quelle aventure entre vous et moi.

-Dès « Leisure » paru en août 1991, les vibrations aquatiques du groupe font mouiller plus d’un baigneur sorti couvert grâce à un bonnet de bain, une capote sans queue mais avec tête.

Je me souviens si fort de « Sing » issu de l’album qui faisait partie de ces morceaux trippants redécouvert sur la mémorable BO « Trainspotting » sortie en juillet 1996.

-Avec « Modern Life is Rubbish » sorti en mai 1993, le groupe frappe un grand coup à coups de Doc Martens sur la scène garage rock. Il envoie valser tous les clichés de la pop.

« Blue Jeans » et son rythme chaloupé ne me faisait plus porter ou enlever mes jeans de la même façon dans cette vie en bleue que ne renierait pas Michou et le Schtroumpf farceur.

-Avec « Parklife » sorti le 25 avril 1994, Blur est sur le toit du monde de la Pop. Dans cette jungle musicale si chargée de l’année, on trouve également un Oasis qui ne se trouve pas dans un désert musical. Car dès le 29 août 1994, Oasis adresse un chef d’œuvre « Definitely Maybe ».

« Girls & Boys » est dans toutes les têtes : c’est la fête du slip avec ou sans un beau lévrier sorti de sa cage.

-Avec « The Great Escape » sorti le 11 septembre 1995, Blur continue à charmer et dominer les charts. Et Oasis tient plus que le dos de la cuillère. A eux 2, ils se partagent le gâteau musical de l’année, qui n’est pas de la gélée, à côté du grunge qui pointe plus que le bout de ses Converse.

Oasis sort « What’s The Story Morning Glory ? » le 2 octobre 1995.

Et dire que le 14 août 1995, le même jour, Oasis sort « Roll With It » et Blur « The Country House ». Blur gagnera la bataille du single ce jour-là.

Quel beau ring pop/rock cette année-là. J’étais à Londres à cette époque et leur musique passait partout. A chaque coin de rue, Blur et Oasis nous faisaient trinquer de bonheur.

« The Universal » continue de hanter les booms célestes et les mémoires des fins mélomanes.

-Avec « Blur » sorti en février 1997, la formule évolue. Le sandwich anglais prend de l’épaisseur. On garde du mordant mais le psychédélisme fait son œuvre entre les couches. Les savants fous Graham Coxon et Damon Albarn commencent à s’aventurer dans un autre cosmos tandis que Oasis avec son « Be Here Now », qui ne manque pas de qualités, fait plonger sa Rolls dans la piscine. Son moteur tourne encore mais prend froid car trop enrhumé.

La Britpop est morte, vive la Britpop. Enfin, la Britpop, un mot inventé par les maisons de disques, la presse claironne à juste titre Damon Albarn. La Britpop n’a jamais vraiment existé..Le rock et la pop si.

Le grunge est bien là et « Song 2 » est une déclaration d’amour au style par Graham.

« Death of a party » nous emmène loin, plus loin que les joyaux de la couronne.

-Avec « 13 » sorti en mars 1999 et produit par William Orbit, le groupe a définitivement muté. Il devient pour le plaisir de tous les fous de sons, un groupe hors sol, intemporel, électrisant, électronique, flamboyant, gospel, chantant la rupture et les anévrismes de l’existence.

« Caramel » en tête est une addiction sonore d’un érotisme soutenu qui vous plante les sens sans excès de transpirations.

-Avec « Think Tank » sorti en mai 2003, le groupe réduit à 3, avec un Graham Coxon parti soigner quelques blessures, sort son disque le plus varié à ce jour. Fruit de diverses expérimentations, d’un voyage au Maroc, de l’extraordinaire trajectoire de Damon Albarn avec Gorillaz qu’il fonde avec Jamie Heylett en 2001.

Ce disque formidable, si émouvant, relance la fusée Blur vers un territoire plus tribal, plus psychédélique, plus enivrant.

« Sweet Song » avec ou sans verre à la main, cette sublime ballade fait couler des larmes sur nos verres de contact.

-Il faudra attendre 12 ans avant que Blur ne sorte une superbe crème glacée musicale avec « The Magic Whip » sorti en avril 2015.

Perdus au Japon, le groupe reconstitué délivre un chef d’œuvre embrassant tous les styles, toutes les épopées du groupe.

« Pyongyang » est un morceau épique, à la structure remarquable. Très sombre et mélodieux, il décapsule une bière sans décapsuleur.

Et puis, « The Ballad of Darren » débarque en plein mois de Juillet 2023 comme une ultime surprise, 8 ans après..

Là sur les quais de Seine, en plein quai des brumes, je lui déclare ma flamme :

« t’as de beaux titres tu sais ».

Partons tous à l’eau avec « The Ballad of Darren ».

Jamais rassasié, c’est Damon Albarn, l’aventurier (Mali Music, The Good, the Bad and the Queen, Rocket Juice & the Moon, Albums solo, Gorillaz, comédies musicales..), cet ancien présumé paresseux des débuts que l’on prétendait nous décrire sur certaines mauvaises ondes radio, devenu ce génie, ce pisteur aux étoiles le plus prolifique de ces 20 dernières années (de la scène pop rock) qui a écrit plus de 20 chansons en 2022 lors de la tournée américaine de Gorillaz.

Dire que cet Indiana Jones des temps modernes a sorti « Cracker Island » le dernier Gorillaz le 27 février 2023. En effet, Damon Albarn cet esthète, cet être hors normes, n’arrête pas de nous faire plaisir.

En janvier 2023, il convoque les autres membres du groupe pour mettre en chansons à la sauce Blur ces nouvelles créations du Maître.

Damon Albarn sur ce disque n’a sans doute jamais aussi bien chanté. Les émotions qu’il nous adresse sont sensationnelles.

Graham Coxon n’a jamais autant travaillé ses accords de gratte que sur cet album et sa voix se pose si bien sur celle de son frère.

Alex James sorti de sa merveilleuse ferme pour reprendre sa basse n’est jamais cheesy mais so sexy nourri de britpop wine, il a ce sourire qui fait toujours cheese.

Dave Rowntree marie les fûts de sa batterie avec un délice de danses électroniques.

James Ford aux claviers et à la production est un chercheur d’or. On lui doit notamment les derniers exercices des Arctic Monkeys (« Favorite Worst Nightmare », « Humbug » avec Joshua Homme, « Suck it and see », « AM », « Tranquility Base Hotel & Casino », « The Car »), Jessie Ware et son « What’s your pleasure », Gorillaz avec « The Now Now », Depeche Mode et « Memento Mori ».

L’influence de Alex Turner des Arctic Monkeys est grande sur ce disque. Damon le dit : « I sing a lot like him on the new album ».

C’est le 18 mai 2023 que sort ainsi à la surprise générale « The Narcissist » un merveilleux titre puis le 29 juin 2023 « St Charles Square » morceau monstrueux qui nous emmène vers un autre vaisseau fantôme.

Le 19 mai 2023, on les retrouve pour la première fois depuis 2019 sur scène à Colchester où ils débutent en live ces 2 fameux titres.

Les 8 et 9 juillet 2023, ils donneront 2 shows mémorables à Wembley.

Le 25 juillet 2023, en grande forme, avec une complicité évidente, un Damon en voix et très showman, un Graham bien campé en grand chimiste de son labo fou, un Alex jouant à la cool lové sur un canapé, un Dave très métronome et donnant le tempo du show, ils joueront le dernier album en son intégralité sur la scène du mythique Eventim Apollo à Londres mais également en guise de cherry on the cake des raretés comme « Mr Briggs », « Theme from an imaginary film », « Clover over Dover », « Pyongyang ».

-« The Ballad » : Une surprise dès l’entame. Une grande ballade comme morceau d’ouverture. La magie opère déjà. Titre ressuscité des sessions de Damon Albarn sur « Democrazy » sorti en 2003. Lancé sur un beat électro et quelques secondes qui semblent appeler le vent d’Ecosse, Damon pose sa poésie autobiographique et dresse le bilan d’un amour passionnel qui s’est éteint. Les chœurs appuyés de Graham et ses si beaux accords à la guitare permettent une dernière danse aux amoureux.

« Up close

I fell in love with you (I met you at an early show)

You falling

I’ll fall along with you (we travelled around the world together) »

-« St Charles Square » : Le morceau s’ouvre sur une pluie de riffs tranchants à la Robert Fripp sur « Scary Monsters » de David Bowie. Morceau convoquant Syd Barrett qui lirait le Horla, la paranoïa aigue, les monstres dans le placard qui empêchent de sortir et de contempler le cercle rouge, les serpents qui sortent du sol amenant à se frayer un chemin avec du gros sel. Il est question de fantômes, d’addictions. Sur le refrain Damon hurle tel un loup échappé du zoo de Berlin et réveille Elvis de son éternité.

« Weird vibrations in the basement

I don’t like this scene

Pauli’s ghost come back to haunt me

Think I’m going to… »

-« Barbaric » : Sur le bûcher des vanités, chacun a perdu sa place, ils réalisent qu’ils ne sont d’accord que sur des rêves irréalisables. Un tube qui ne fait pas office de dentifrice mais de dents du bonheur. Graham rend hommage à Johnny Marr et aux Smiths rappelant leur « Barbarism Begins At Home ». Le refrain est déjà dans toutes les mémoires. Damon chante comme un Dieu. On ressent chaque souffle, chaque respiration dans sa voix. Les poils se dressent sur les bras et l’on s’embrasse à poils célébrant cette suspension du temps.

« You have lost

The feeling that you thought you’d never lose

Now where are you going, darling

At what cost, the feeling that you thought you’d never lose

And it is barbaric »

-« Russian Strings » : Des notes de piano comme une chute de framerate, puis les maux sont posés : les ravages des réseaux sociaux qui posent le faux et ne reposent pas, les poupées qui chantent sur Tik Tok et en oublient de vivre et de voir la beauté d’un monde fragile qui chaque matin lutte pour ouvrir ses yeux, une poupée russe qui ne s’emboite plus avec les autres. Morceau somptueux aux arrangements surprenants, Graham y fait pleurer sa 6 cordes comme George Harrison sur « Come Together ». Damon rencontre Moise et proclame qu’à la fin, il n’y a rien que de la poussière.

« There are strings attached to all of us

There is nothing in the end only dust

When you pull the lever down

I’ll be hitting the hard stuff »

-« The Everglades (for Leonard) » : Une guitare évoquant les 2 albums solos de Damon et puis l’eau salée monte, les larmes coulent, le sublime est à quai. Damon frappé par le Syndrome de Stendhal compose une œuvre forte, très intense qui fait déborder les émotions les plus ancrées en nous. Il aurait composé ce titre dans une chambre d’hôtel à Montréal en scrutant une fresque murale de Leonard Cohen située en face de son hôtel. L’œuvre et son éblouissement sont des accoucheurs de beautés. Mais les fantômes veillent toujours. Interrogeant nos croyances, ce titre appelle au calme, à l’acceptation de notre finitude. Même s’il est trop tard et que nous n’atteindrons pas les Everglades, la grâce est en chacun de nous.

« We are growing tall with the pain

We are searching the everglades

Suing God with change

And furthermore I think it is just too late »

-« The Narcissist » : L’histoire du groupe est couchée sur le papier de ce titre prodigieux, Damon y revisite son égo à travers son histoire de groupes. Tout autant un retour aux sources qu’une avancée, les voix de Damon et de Graham se marient à la perfection. La basse de Alex est magique et Dave se régale de la complexité du tempo. Le refrain est stratosphérique. Ce titre devenu déjà un classique fait fureur en live.

« I’m going to shine a light in your eyes

You will probably shine it back on me

But I won’t fall this time

With godspeed I’ll heed the signs »

-« Goodbye Albert » : On glisse vers la new wave, le gothique avec cette très grosse claque sonore. On est proche du lyrisme de l’Adieu aux armes de Hemingway qui serait ici mis en chanson. Damon y évoque très mystérieusement l’adieu d’une amitié forte. Les arrangements de cordes sont encore exceptionnels apportant une très jolie patine au titre qui ne cesse de meubler l’édifice. Le refrain d’une beauté crépusculaire évoque « Lady Grinning Soul » de David Bowie.

« I stayed away

I gave you time

Why don’t you talk to me anymore

Don’t punish me forever »

-« Far Away Islands » : L’île aux trésors de l’album, chef d’œuvre absolu. On quitte la possibilité d’une île pour accoster sur l’île aux trésors et rejoindre Robinson Crusoé lequel a bu un breuvage psychédélique qui le fait voyager d’une terre à l’autre sans y perdre les eaux. Le morceau rappelle les rêves de Brian Eno et son « Taking Tiger Mountain ». Morceau à emporter sur son île déserte, il est une sublime déclaration à l’abandon de soi. Personne n’est définitivement perdu sur son île. A la fin, du titre, on note même avec ou sans influences addictives, un coassement d’une grenouille céleste qui nous invite à la fête..

« And I am dancing alone with the moon and the white whale

Far away island, I miss you

I know you think I must be lost now, but I’me not, anymore »

-« Avalon » : Grand titre convoquant les plus belles années de Blur. Les arrangements surprenants agissent comme la pluie sur une mer agitée.Les cuivres prennent la route de la Motown. Les messages sont forts et déclamés dans un monde post brexit ravagé par de trop forts bombardements de mauvaises pensées. Le verre à moitié vide m’appelle à me resservir de cette beauté.

« I’m dialling in, I’m dialling out there is darkness at the door

Then I overdo my dose and I don’t even know I’m here anymore

Just something that comes to us all »

-« The Heights » : David Bowie ressurgit et gratte la guitare de Graham Coxon. « Space Oddity » ressurgit ici pour un nouveau voyage. Damon est totalement habité. Très grande ballade et parfaite conclusion du disque, elle réveille toutes les consciences comateuses. La voix à l’écho magique, les violons, la batterie, la guitare, la basse nagent à l’unisson avant que l’orage ne frappe à nouveau. L’orage qui rend sourd les aveugles clôture le titre de façon plus houleuse que « A Day In The Life » des Beatles mais tout comme cet autre chef d’œuvre sonne comme un nouveau départ pour le groupe..Après..Il y a bien un Après..

« Seeing trough the coma in our lives

Something so bright out there you can’t even see it

Are we running out of time

Something so momentary that you can’t even feel it »

D’ailleurs 2 titres bonus ornent la version Deluxe : le dansant « The Rabbi » et le très beau « The Swan »… Mais il y encore un Après..

Il est arrivé à la nage ce fantastique disque convoquant les anciens, les présents et le futur.

Il est bien en nage et chasse à coups de jets d’eau toutes les mauvaises sueurs en ce drôle d’été 2023.

Derrière chaque mouvement de brasse, il n’y a pas de pure tranquillité, il y a des remous, un ciel gris, un vent mauvais, des orages qui appellent en numéro masqué, du vague à l’âme.. Il y a la vie et son grand bain de liberté.

Album miraculeux enregistré si rapidement qu’il semble jeté sur la terre par un coup de foudre, ce disque classieux, liquide, autobiographique et remarquablement lettré sonne comme une nouvelle Odyssée.

Ce disque est une nouvelle navigation avec la captain Blackstar David Bowie.

Il est ici dit :

Si vous tombez,

Si vous perdez l’équilibre,

Prenez du temps pour vous.

Installez-vous confortablement dans votre beau sofa et plongez la tête la première dans ce disque.

Il vous tirera les larmes, vous fera réfléchir, regarder devant, derrière mais surtout devant.

Il servira votre majesté et votre majestueux postérieur avec la noblesse du cœur.

Il vous fera parfois lever de votre fauteuil transformé en aquabike pour saluer son brio

Et vous continuerez à brasser non pas du vent, non pas l’air du temps, votre petite bière ou votre bonne pâte mais à être touché par la grâce en cette matinée..

BLUR nous sommes en nage de toi !!

 

Disque du mois de juillet 2023 et… peut être le disque de l’année..

 

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